"Je me sens tellement coupable de ne pas réussir à prendre du plaisir. Je crois qu'en fait je n'aime pas le sexe. Je pourrais tout à fait m'en passer ".
Cette phrase je l'ai entendue à mainte et mainte reprise au sein de mon cabinet.
Que la personne assise en face de moi soit une femme ou un homme, le constat reste le même. Le rapport à la sexualité est conflictuel, souffrant et majoritairement culpabilisant.
Parfois les douleurs sexuelles n'ont absolument aucun sens, aucune origine compréhensible. On en vient alors à croire qu'elles sont classiques et que le sexe est forcément douloureux. C'est là aussi toute la difficulté de se comprendre et de se faire entendre.
Lorsque l'on a été victime d'inceste et de violences sexuelles précoces, l'intimité à l'âge adulte devient problématique car elle renvoie à des douleurs que le corps n'a pu supporter à l'instant T du ou des traumas. C'est un corps meurtri qui a appris à s'anesthésier qu'il faut alors réinvestir pour se le réapproprier pleinement.
Quand on ne peut dialoguer avec son corps
Le traumatisme causé par des violences répétées durant l'enfance reste profondément ancré, créant ainsi des symptômes à l'origine d'un malaise ressenti au quotidien. L'enfant devenu adulte est dans l'incapacité de dialoguer avec son corps, ce corps meurtri dans sa chair, sali, emprisonné dans le souvenir traumatique. Il est important de comprendre que le retentissement émotionnel de ce souvenir est indépendant de la fréquence et même des actes subis en eux-mêmes. Ainsi chaque victime, selon son histoire, sa personnalité, son environnement se verra évoluer différemment. En cela il n'y a pas de règle absolue en matière de traumatisme : une victime de viol pourrait tout aussi bien se relever plus "facilement" qu'une victime d'attouchements sexuels. Toute la difficulté des victimes à se faire comprendre et surtout entendre réside en partie là.
Le dialogue avec son corps est donc largement entravé, notamment par la mise en place de mécanismes défensifs.
- La dissociation physique est souvent marquée chez les personnes victimes d'inceste et de violences sexuelles.
Pendant les rapports sexuels et pour s'éviter tout renvoi au souvenir traumatique, on se coupe involontairement et inconsciemment de ses ressentis tout comme on avait pu le faire lors des agressions.
Le corps anesthésié, on ne ressent plus rien, ni plaisir ni désir et on semble totalement détaché. - La douleur lors des rapports ravive fréquemment le souvenir traumatique enfoui : un son, une odeur, un toucher particulier et la mémoire traumatique se réactive, nous laissant totalement désemparé(e) face à ce qui arrive et créant un rejet total ou partiel de la sexualité. La douleur lors des rapports est parfois le seul ressenti que le corps autorise. Une douleur physique insupportable qui vient rajouter une difficulté au lâcher prise et au plaisir.
Notons également que souvent, par souci de faire plaisir à son/sa partenaire, par peur de dire non, par peur du conflit, par envie d'être comme tout le monde, on se retrouve alors à se forcer, à faire semblant, ce qui suractive d'autant plus le rappel des agressions et accentue le sentiment de culpabilité. - Le plaisir et le désir impossibles car pour pouvoir s'abandonner pleinement, les notions de confiance et d'amour propre sont primordiales. Pour désirer l'autre il faut avant tout s'aimer soi-même. Or une victime d'inceste et de violences sexuelles qui vit dans son corps la honte, le rejet et le dégoût, est privée de cette perception.
Le plaisir n'est parfois pas envisageable car il renvoi au "plaisir physiologique" que le corps à l'instant du trauma a pu ressentir.
Plaisir totalement involontaire et incontrôlable que l'on ne se "pardonne" pas, culpabilise d'avoir ressenti, et pour lequel on éprouve de la honte et du dégoût de soi.
Quand l'inceste s'invite dans le couple
Lorsque l'on est en relation avec un/une partenaire de vie, notre vécu incestueux et les violences sexuelles que l'on a subi deviennent une histoire de couple à tout point de vue mais d'autant plus concernant la sexualité.
Comme on l'a vu un peu plus haut dans cet article, pour une personne ayant été victime d'inceste et de violences sexuelles dans l'enfance, le rapport à l'intimité est fortement entravé et source d'un profond mal-être. La libido est donc impactée et même si elle n'est pas totalement absente, elle est fréquemment réduite.
On se retrouve alors souvent dans des réflexions et pensées de soumission et de culpabilité :
- On se dit que l'autre a des besoins auxquels on se doit de répondre
- On se dit qu'il va bien falloir y passer à un moment ou à un autre
- On se sent soulagé(e) après le rapport car on sera enfin tranquille pour quelques temps
- On a peur de perdre l'amour de son/sa partenaire si on a peu ou pas de rapports sexuels
- On évite les contacts et les démonstrations d'affection par crainte de susciter un désir chez l'autre
- On fait semblant de prendre du plaisir pour satisfaire son/sa partenaire
- On a l'impression de ne pas être normal(e) parce que tout le monde aime la sexualité
- On se sent responsable de ne pas réussir à prendre du plaisir et de ne rien ressentir
- On se sent agressé(e) quand notre partenaire nous montre son envie et son désir
- On n'ose pas s'exprimer lorsque l'on a pas envie par peur de décevoir et on subit le rapport
Tous ces sentiments sont autant de facteurs de dévalorisation de soi et de maintien de la douleur qui participent à la difficulté de nombreuses personnes victimes à créer du lien, à faire confiance, à se sentir en sécurité.
Les sentiments de solitude et de dépréciation de soi sont d'ailleurs des motifs fréquents de consultations au sein de mon cabinet tant la souffrance sexuelle est palpable.
Quand l'incestuel détruit l'intime
L'incestuel est un sujet qui me tient particulièrement à cœur car passé trop longtemps sous silence et pourtant tout autant destructeur voir parfois même plus que l'inceste agit.
Je le disais donc, l'incestuel fausse d'autant plus le rapport au corps et à l'intime puisqu'il ne laisse aucune trace. Il est d'ailleurs fréquent que les personnes victimes ne fassent pas le rapprochement entre leurs difficultés actuelles et ce qu'elles ont vécu dans leur enfance.
Quand on parle d'incestuel, la question de la légitimité des douleurs ou des difficultés d'ordre sexuelles ouvre une énorme porte sur le sentiment de culpabilité et sur la comparaison.
Les conséquences sur la sexualité sont pourtant similaires chez les personnes incestualisées et chez les personnes incestées et c'est extrêmement important pour moi aujourd'hui de faire entendre ce fait.
Sortir de ces difficultés requièrent de la détermination et de prendre le temps.
Il est primordial de réapprendre à apprécier son image et son corps avant de pouvoir envisager un partage intime qui soit sain avec l'autre tout comme il est indispensable de sortir de l'image stéréotypée que représente la sexualité dans l'inconscient collectif.
Mais comment y arriver ?
- Se laisser du temps pour accéder au plaisir, accepter le désir de l'autre et de soi, réapprendre à aimer ce corps pour reprendre possession de soi.
- Prendre conscience de son identité indépendamment de son trauma : le vécu traumatique ne fait pas office d'identité, il fait "seulement" parti du parcours de vie.
- Se sentir épaulé(e), soutenu(e), compris(e) et sortir de l'isolement. Prendre conscience que la solitude est l'ennemie du traumatisme, car bien souvent, on a le sentiment que personne ne peut nous comprendre, que personne d'autre que nous ne peut ressentir ce que nous ressentons au fond de nous. On ressent beaucoup de culpabilité de ne pas se sentir "normal(e)", d'avoir l'impression d'être différent(e) des autres et qu'on ne pourra jamais avoir un rapport sain avec nous-même ni avec les autres. On culpabilise de ne pas avoir envie d'être touché(e), d'avoir une libido à zéro et de ne pas satisfaire notre partenaire, ce partenaire qui se sent lui-même rejeté, qui se remet en question et ne comprend pas pourquoi le simple contact physique est autant compliqué.
- Sortir du stéréotype de la sexualité normative. Apprendre à se faire confiance, à être à l'écoute de son corps et de ses propres envies, sans plus répondre aux attentes de la société et de l'image qu'elle façonne des rôles de la femme et de l'homme.